Que de chemin parcouru depuis 1920, époque à laquelle Émile Prunier sert son premier caviar fait maison à la table de son restaurant parisien ! Au fil de ce siècle, Prunier est devenue une marque de renommée mondiale autant pour ses restaurants que pour sa production de caviar.
L’histoire de Prunier est tout aussi savoureuse que son caviar, mais je vous laisse la découvrir sur le site de la marque. Intéressons-nous plutôt à la production car, depuis plusieurs années, la France en est le troisième producteur mondial avec plus de 40 tonnes, au coude à coude avec l’Italie et derrière la Chine. Environ 15 tonnes de caviar sortent tous les ans du laboratoire de Manufacture Prunier, premier site de production créé en France.
Installé à Montpon-Ménestérol sur les rives de l’Isle, un affluent de la Dordogne, le site a été fondé par Valérie et Laurent Sabeau à la fin des années 1980. Leur idée de se lancer dans l’élevage d’esturgeons en pisciculture est, à l’époque, si folle qu’ils ont besoin d’aide et les banques sont plutôt frileuses. Mais leur exploitation prend un nouveau virage lorsque Pierre Bergé et Jean-Francis Bretelle décident d’investir dans leur entreprise après avoir découvert la qualité du caviar produit sur le site. Quelques années plus tard, ces derniers se portent acquéreurs du restaurant Prunier Victor Hugo et c’est tout naturellement qu’ils rebaptisent le site de Montpon du nom de Manufacture Prunier. Viendra ensuite l’ouverture du restaurant Café Prunier, place de la Madeleine, avec son espace boutique, son nouveau concept de “street caviar” et sa fameuse Baguette Caviar que l’on peut déguster à partir de 15 €. Une manière comme une autre de se faire plaisir à moindre coût. D’ailleurs, au cours de notre visite de la Manufacture Prunier, Valérie et Laurent n’ont eu de cesse de nous rappeler qu’il était vain de croire que le caviar ne se consomme qu’à la louche. “Pour moi, une boîte de 30 g suffit largement pour faire une superbe entrée pour 4 personnes, en posant quelques grains sur un œuf, un avocat ou même de la mozzarella”, affirme Laurent Sabeau. Il est vrai qu’au pays de la gastronomie, l’achat d’une boîte de 30 g ne représente pas la plus grosse dépense d’un repas de fête.
Un élevage raisonné
Ici, sont élevés des esturgeons Baerii, très proches des anciens Sturio qui peuplaient les eaux de l’estuaire de la Gironde au début du siècle précédent. Cette espèce vient de Sibérie et offre la particularité de très bien se développer en élevage, donnant sa première maturation après 6 à 8 ans de croissance. Le caviar, c’est l’école de la patience et la Manufacture peut s’enorgueillir aujourd’hui d’élever uniquement des produits de la ferme. Les alevins sont des autochtones obtenus par croisement de la population pour éviter toute dégénérescence. Les esturgeons sont élevés en plein air dans de vastes bassins alimentés par l’eau de l’Isle contrôlée en permanence. Ils sont nourris trois fois par jour, car rien ne sert de les engraisser, la maturation ne dépend pas de cela. Poisson carnivore, il lui faut beaucoup de protéines pour se développer. Dès ses 2 ans, il passe au verdict de l’échographie pour le sexage que l’on ne peut pas faire à l’œil nu. On sépare les femelles des mâles, dont une grande partie sera utilisée en poissonnerie. On conserve alors les plus beaux spécimens mâles qui seront réservés à la procréation au moment du frai pour obtenir les futures générations. Chaque année, plus de 20 000 poissons passent à l’échographie pour un contrôle car le site abrite plus de 300 tonnes d’esturgeons. Si la majorité est de l’espèce Baerii, on compte depuis quelques années des Gueldenstaedtii, plus connus pour donner le fameux caviar Osciètre.
Pourquoi l’élevage ?
Le caviar sauvage a été pendant des décennies le principal mode d’approvisionnement, mais la surpêche en mer Caspienne ou dans le lac Baïkal a précipité la raréfaction de l’espèce. Alors, pour arrêter ce pillage, 183 pays ont signé la convention CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune de flore sauvage menacées d’extinction), sur l’arrêt définitif de l’importation de caviar de la mer Caspienne. Cette signature historique va accélérer le développement du caviar d’élevage dont la France est l’une des pionnières à l’image de la Manufacture Prunier. Aussi étonnant que cela soit, la France est le premier consommateur dans le monde, mais aussi le troisième pays producteur après la Chine et l’Italie. Plus de 40 tonnes sont produites dans l’hexagone dont 90 % par les sept éleveurs installés en Nouvelle-Aquitaine. Depuis plus d’un siècle, cette production initiée par la Maison Prunier avait hissé le caviar français à la première place dans le monde au niveau de la qualité. D’abord avec le caviar sauvage et, depuis plus de 30 ans, avec le caviar d’élevage. Aujourd’hui, notre consommation totale se situe aux alentours des 40 tonnes, mais plus de la moitié provient de Chine qui, de son côté, interdit toute importation étrangère sur son sol.
C’est face à ce paradoxe que les producteurs français appellent à l’aide les restaurateurs et les chefs pour qu’ils utilisent en priorité du caviar français dont les prix sont tout à fait concurrentiels eu égard à la qualité et à la traçabilité des produits.
100 ans de caviar français
Peter G. Rebeiz @Lionel Flusin Boîte originale du centenaire.
Appartenant maintenant au groupe Caviar House & Prunier, la Manufacture Prunier demeurent l’exemple même d’un savoir-faire et d’une excellence à la française. “2020 est une année exceptionnelle qui marque le centenaire du premier caviar jamais produit dans les eaux françaises et j’ai une pensée admirative et émue pour l’esprit novateur de Monsieur Émile Prunier et de sa famille à l’origine de cet exploit”, indique Peter G. Rebeiz, PDG de Caviar House & Prunier. Et de continuer en affirmant : “Ce centenaire de la marque permet de relater avec précision comment le caviar français de Prunier est devenu un véritable caviar au sens le plus noble du terme et non pas une alternative au caviar de la mer Caspienne, tel qu’il a trop souvent été insidieusement suggéré par ceux qui souhaitent occulter cette authentique histoire de la gastronomique française”.
Envie de découvrir l’envers du décor ? Voici un diaporama pour tout savoir sur la fabrication du caviar, de l’élevage des esturgeons jusqu’à la dégustation finale des fameux grains.