La laine, déchet ou produit de luxe ? Le grand paradoxe

Brun de Vian-Tiran (@S. Candé)

Encore considérée comme un déchet de la tonte annuelle obligatoire des moutons, la laine est pourtant présente sous de nombreuses formes dans toutes les vitrines des grandes enseignes de prêt-à-porter. Comment peut-on avoir un statut de base aussi peu glorieux et se retrouver ainsi au top de la mode ? C’est le grand paradoxe de cette filière française qui ne demande qu’à retrouver toute sa force.

La laine a longtemps été considérée comme le matériau indispensable pour combattre le froid jusqu’à l’arrivée de matières naturelles végétales, puis celles issues de la pétrochimie moins coûteuses à travailler et capables en partie de remplacer la laine dans des secteurs comme l’habillement, la literie et l’isolation. Ajoutez à cela des changements de mode et des pratiques de consommation, et voilà la laine française réduite à la portion congrue. Pensez donc, le calcul est simple : un mouton donne à peu près 2 kilos de laine de suint lors de sa tonte sanitaire obligatoire. Il est payé aujourd’hui entre 10 et 30 centimes d’euro alors que la tonte elle-même coûte entre 1,5 et 2 euros par mouton à l’éleveur. Un écart disproportionné qui ne permet pas de valoriser correctement le travail des éleveurs provoquant chez eux un désintérêt brutal pour la laine de leurs ovins (marquage à la peinture, tontes réalisées sans précaution sur de la paille…)
Une situation globale catastrophique de la filière accélérée par la recherche du plus grand profit et, par voie de conséquence, des délocalisations massives, accompagnées par la raréfaction de l’outil industriel et des savoir-faire. Bref, la laine en a pris un sacré coup, mais fort heureusement plusieurs initiatives comme celle du Collectif Tricolor, que nous présentons plus loin, laissent espérer un redressement et une prise de conscience à tous les niveaux de la filière, de l’éleveur aux marques. Tout n’est pas perdu et le consommateur pourra y apporter sa contribution en faisant les bons choix et en vérifiant les étiquettes des produits qu’il achète.

D’où vient la laine ?

La France produit environ 14 000 tonnes de laine brute provenant de la tonte sanitaire annuelle obligatoire des moutons quelle que soit leur race. Cette laine brute est encore considérée en France comme un sous-produit de l’élevage ovin. L’absence de label pour l’élevage biologique et le retour très tardif de la sélection par race ont été des obstacles à la production d’une laine de qualité. Des obstacles que quelques irréductibles vont faire tomber en relançant des élevages comme le mérinos. Reste que ces initiatives ne sont pas à l’échelle de nos besoins et que pratiquement toutes nos manufactures tricotent ou tissent des laines en provenance d’Australie ou d’Afrique du Sud pour les plus fines. On passe sous silence les entorses au bien-être animal dans certains élevages australiens.
Pour le tout venant de laine brute, soit environ 13 500 tonnes, il est transformé à bas coûts en Chine et au prix d’un désastre écologique annoncé. Ces laines reviennent en France sans que l’on puisse réellement en assurer la traçabilité.
Environ 500 tonnes de la laine brute sont collectées puis lavées dans l’une des deux usines rescapées situées dans l’Allier et en Haute-Loire. Elles fournissent la dizaine de filatures encore en exercice en France. Ces dernières filent principalement à destination du marché de la literie et de l’artisanat local.

Comment obtient-on le fil ?

Pour être filée, la laine doit d’abord être cardée puis peignée ou pas, selon sa destination finale. C’est lors du cardage que l’on peut incorporer d’autres matériaux pour la brillance, l’élasticité ou la douceur.
Pour être transformée en fil, elle suit alors deux cycles différents :
• Le cycle cardé pour les laines de gros diamètre de fibres qui sortent de la machine sous forme de mèches. Cette laine cardée donne des produits plus rustiques et solides.
• Le cycle peigné pour les laines fines qui sortent de la machine en rubans souples et très homogènes pour ensuite être filés. La qualité de la laine peignée permet d’obtenir des tissus ou des tricots d’une très grande finesse.
Les filatures françaises sont moins d’une douzaine, mais heureusement très actives, permettant ainsi la relocalisation de nombreuses marques et l’éclosion de belles initiatives entrepreneuriales.

Les vertus uniques et incomparables de la laine

Cette fibre creuse combine de nombreuses qualités naturelles pouvant couvrir de vastes domaines d’utilisation allant du médical à l’aviation en passant par l’industrie, le bâtiment, l’habillement technique et la mode.
Naturelle, elle est totalement “recyclable et biodégradable”. Extrêmement solide, elle est un “produit durable”, un bon moyen de lutter contre la surconsommation, “peu salissante” et facile à entretenir avec des cycles machine adaptés, elle demande “peu d’eau et d’énergie” pour être nettoyée. Mais ses grandes vertus sont parfois ignorées comme son excellente protection “contre les UV”, sa “fibre creuse” s’accorde aussi bien aux frimas de l’hiver qu’à la chaleur de l’été. Son “fort pouvoir isolant” est très recherché dans la construction grâce à sa “texture ondulée” qui emmagasine une grande quantité d’air et sa “structure écaillée” qui augmente sa surface en contact avec l’air qu’il soit chaud ou froid. Le feutre de laine est également un “isolant phonique” très recherché que l’on retrouve dans les théâtres et autres salles de spectacle.
Peu perméable” à l’eau, elle résiste au ruissellement, raison pour laquelle on la retrouve dans la composition des cabans des marins. Elle peut absorber plus de 30 % de son poids en eau sans être mouillée au toucher et sans perdre son pouvoir isolant. Mais le plus surprenant est sa “résistance au feu” puisqu’elle ne s’enflamme qu’à partir de 560° et qu’elle est “auto extinguible”. Pas étonnant donc de la voir dans de nombreuses applications de sécurité aussi bien dans les tissus pour l’aviation et l’automobile que dans les uniformes de pompiers ou militaires. Véritable piège au dioxyde d’azote, elle “purifie l’air” de la maison, d’où sa présence dans des systèmes industriels de filtrage. “Non allergisante”, la laine convient très bien aux personnes sensibles et règle souvent le problème de la literie et du choix des tissus d’ameublement. Certains tissus issus de la recherche pétrochimique peuvent présenter des vertus similaires, mais jamais toutes celles de la laine en même temps et encore moins son absence d’impact sur l’environnement. Alors la laine reste le matériau naturel le plus universel et surtout le seul renouvelable tant que les moutons existent !

Organiser la filière

C’est ce que réclament de nombreuses associations, syndicats de producteurs éleveurs et autres organisations comme le Collectif Tricolor (cf encadré). La disparition des grandes coopératives lainières a précipité le déclin de la laine française. Aujourd’hui, cette dernière tente de se réorganiser pour valoriser la filière (à l’image de ce que font les Anglais avec leur puissante British Wool Marketing Board) et soutenir la formation au niveau des écoles et des universités car la filière a autant besoin de petites mains que d’ingénieurs qualifiés. C’est ce que font la Chambre Syndicale des Laines de France, l’Union des Industries Textiles et l’International Wool Textile Organisation à Bruxelles en créant les normes permettant de mieux valoriser la laine aux yeux du consommateur. Un immense travail les attend pour que la production s’industrialise sans perdre son âme. Cela réclame beaucoup de recherche et de développement sur les nouveaux produits et des investissements en formation. La France est loin d’être en autosuffisance en matière d’approvisionnement d’autant que le made in France permet l’éclosion de nombreuses initiatives dans la mode et l’habitat.

Deux élevages en plein développement et une éthique respectée

Le renouveau de la laine française passe par deux conditions essentielles : retrouver en quantité des matières premières de qualité, qu’elles soient fines comme le mohair ou plus épaisses comme la laine mérinos. Et retrouver des prix justes qui permettent aux éleveurs de travailler dans de très bonnes conditions, seules garanties d’avoir des tontes propres et de qualité. Dernier point et non des moindres, il s’agit de la manière de traiter les bêtes et là, la France a tout à gagner face à sa concurrence australienne qui défraie la chronique sur les réseaux sociaux par les nombreux cas de maltraitance animale. Une précision d’importance, le terme laine ne peut être utilisé que pour le produit de la tonte des ovins. La chèvre angora produit le mohair et le lapin angora produit l’angora, mais le terme laine ne peut pas y être accolé.

Le mérinos d’Arles


Il s’agit de la laine la plus fine d’Europe et son gonflant est très recherché autant dans la mode que dans la literie. Certes, son prix de base est plus élevé, mais sa finesse dépourvue de jarre (fibre grossière) permet des tricotages plus fins. Les principaux élevages français se situent en région Provence, mais on retrouve d’autres élevages dans la Drôme, à Rambouillet dans la Bergerie Nationale et dans l’Isère. La réintroduction du mérinos en France permet au consommateur de profiter d’un produit exceptionnel tout en sachant que l’espèce est bien traitée sur notre sol. Plusieurs acteurs du made in France s’approvisionnent en mérinos d’Arles avec une authenticité prouvée par le label UPRA reconnaissable avec son logo tête de mouton.

Le mohair


Voilà bien un élevage qui reprend du souffle en France avec plus d’une cinquantaine d’exploitations dont une forte concentration dans la moitié sud. Toutes doivent répondre à la charte de qualité “le mohair des fermes de France”. Le mohair possède un fort pouvoir isolant et une légèreté incomparable. Plus utilisé pour des étoles, écharpes et bonnets, on le retrouve dans des applications plus étonnantes comme adjuvant à des fibres synthétiques pour fabriquer les peaux de phoque des skis de randonnée.

Le Collectif Tricolor

Ce collectif, qui rassemble éleveurs ovins, transformateurs industriels, acteurs de la création et de la distribution et enfin territoires, a pour ambition de relancer la production des laines en France. Son objectif est d’accroître de 4 à 24 % la part de la laine produite et transformée en France d’ici à 2024. Il s’appuie sur 6 engagements :
L’attractivité en valorisant les savoir-faire et mettant en lumière une filière de laines françaises encore sous-exploitée.
La proximité en rendant disponible une matière produite et transformée exclusivement en France pour une approche plus locale des modes de consommation.
La traçabilité en assurant la transparence des pratiques tout au long de la chaine.
L’équité en proposant une rémunération plus juste aux éleveurs.
La qualité en répondant aux exigences techniques des différents débouchés.
La responsabilité en améliorant les pratiques d’élevage, de respect de l’animal et en réduisant l’empreinte environnementale de la filière.
On compte de nombreuses entreprises du made in France dans ce collectif dont certaines en lien direct avec le consommateur final comme 1083, Devernois, Manufacture Regain, Le Slip Français, Atelier Tuffery, Saint James, Balzac Paris, Tediber, Première Vision, le Conseil National du Cuir, le Mobilier National et le groupe LVMH.
Au total ce sont une vingtaine de marques qui ont mis en collection des laines françaises, soit plus de 20 tonnes de laines brutes transformées sur notre sol. Le collectif, initié par Pascal Gautrand de Made in Town, entend bien attirer d’autres marques et augmenter rapidement ces chiffres de transformation pour dynamiser la filière de la laine française.

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