Saint James : un monument du pull

Saint James est incontestablement l’un des piliers de la mode casual chic en France et dans le monde. Une place obtenue au fil du temps et en partie avec son fameux pull marin à boutonnage sur l’épaule ainsi que par sa marinière rayée. Aujourd’hui, la marque normande propose un vestiaire complet pour l’enfant et l’adulte homme et femme. Visité guidée…

À dix kilomètres à vol de mouette du Mont Saint-Michel, la ville de Saint-James a vu la naissance de sa filature en 1850. À peine créée, la petite filature remporte un beau succès. La laine une fois lavée, filée et teintée était vendue à des merceries, mais peu à peu l’entreprise confectionne des chaussettes et autres sous-vêtements vendus à des bonneteries.
C’est après la seconde guerre mondiale que l’entreprise abandonne la filature et la teinture pour se consacrer uniquement au tricotage de ce fameux pull marin à la maille si serrée qu’on le dit imperméable. Durant toutes ces années, le pull Saint James est un incontournable du vestiaire des marins pêcheurs et des plaisanciers. La décennie 70 voit l’éclosion de la voile française et tous les marins amateurs se pressent pour s’habiller comme les grands navigateurs. Le succès est tel que la marque exporte ses pulls jusqu’au Japon, devenant une ambassadrice du savoir-faire et de la tradition maritime française. C’est dans cette décennie que l’entreprise amorce un virage vers des collections saisonnières de chemises et pantalons, réalisées en chaîne et trame et non plus en tricotage.
Au cours des années 90, Saint James subit la crise et on assiste à la reprise de l’entreprise par les salariés et les cadres sauvant ainsi l’emploi et des savoir-faire.
Les années suivantes donneront lieu à une rapide expansion avec la construction de nouveaux bâtiments et surtout la redéfinition du travail en équipe, privilégiant le multitâche pour le plus grand plaisir des employés (à majorité des femmes) qui ne sont plus astreintes à la répétitivité d’une tâche unique.
La marque se diversifie de plus en plus à la fin des années quatre-vingt-dix avec l’introduction de nouvelles lignes de chemises, vestes et pantalons en s’adressant à des confectionneurs réputés pour la qualité de leur travail. C’est sur cette part de marché que la progression de Saint James sera la plus fulgurante avec des collections très chics pour hommes et femmes.

Le cœur de Saint James

Le tricotage de la laine est une valeur sûre de la maison et, pour s’en rendre compte, il suffit de voir le plus grand parc de métiers à tricoter de France s’activer en 3/8 et six jours sur sept. C’est qu’il faut du temps pour tricoter un pull de qualité. Il y a d’abord le tricotage proprement dit avec presque toutes les machines en action. Presque toutes, car certaines sont en maintenance d’entretien et d’autres non adaptées à la demande saisonnière.
Pour tricoter régulièrement, il faut une température élevée – aux environs de 23° – et une hygrométrie de 70 %. Sans cette rigueur atmosphérique, les dimensions d’un panneau de laine pourraient varier de 3 à 6 cm, soit perdre ou gagner 2 à 3 tailles. Ici, la matière première, c’est la laine : “Nous utilisons une grande variété de laines, notamment en étroite collaboration avec notre fournisseur Woolmark en provenance de Nouvelle-Zélande et d’Australie, là où se trouve la laine d’une grande qualité”, souligne Luc Lesénécal, président de Saint James.
Les machines sont conduites par les tricoteurs qui ont en charge la conduite de 4 à 6 machines et ce n’est pas une mince affaire. Cela commence par le réglage des têtes qui va prendre entre 3 minutes et plus d’une heure selon le point et la qualité de laine. Puis vient l’alimentation en fil, sachant qu’il en faut près de 23 km pour un pull Matelot à maille serrée. L’attention est totale car les machines sont complexes même si elles sont pilotées par ordinateur. Il reste encore une ancienne machine pilotée par carte perforée pour tricoter des bonnets. Chacune tricote sa grosseur de fil, sa jauge, qui détermine le nombre d’aiguilles sur une longueur d’un pouce, soit 2,54 cm. Deux rangées d’aiguilles se croisent pour former un point particulier et plus la jauge est grande, jusqu’à 16, et plus il y a d’aiguilles et donc une maille fine. “Un pull Matelot est tricoté en jauge 7 pour une laine plus rustique avec un tricotage très serré dans la tradition du pull marin”, nous explique Florence Bellée, assistante de Luc Lesénécal.
Au moindre défaut remarqué en sortie de machine, le panneau est identifié et envoyé à l’atelier de raccoutrage. L’une des grandes forces de Saint James est que les panneaux sont tricotés à dimensions. Cette particularité date des années 60. Elle permet d’obtenir un tricotage plus serré et plus solide que le traditionnel tricotage par panneaux rectangulaires devant être découpés, d’où une perte de matière et une fragilisation des bords.

Découpe des tissus coton par matelassage

Les “mains” du patrimoine

Le raccoutrage ne peut se faire qu’à la main.

Récompensée en 2012 par le label Entreprise du Patrimoine Vivant, toute cette symbolique s’exprime à travers l’atelier de raccoutrage. Une fierté pour tous les employés et certainement la partie la plus étonnante à voir. Il n’existe aucune formation en dehors de celle prodiguée en interne par la dizaine de “mains” qui manient l’aiguille à crochet fermant, seul outil capable de reconstituer une maille. Un travail de précision qui réclame de connaître tous les points pour un rendu parfait. Une autre partie du raccoutrage consiste à débarrasser un panneau des impuretés qui peuvent se glisser malgré toutes les précautions prises lors du tricotage. Des fibres de laine d’une autre couleur ou tout autre corps étranger ayant échappé aux multiples contrôles.
Vient ensuite le passage à la vapeur pour stabiliser les fibres de la laine qui, sans cette étape, pourraient se rétracter naturellement au point de faire perdre 2 à 3 tailles. Certains produits ne passent pas à la vapeur comme le pull marin ou les bonnets de quart pour qui le temps suffit à retrouver leurs dimensions naturelles.

Du matelassage à la coupe

Compte tenu des volumes produits, plusieurs panneaux de laine ou de coton sont superposés pour former un matelas permettant une coupe en épaisseur avec le patronage voulu. La laine est rarement coupée, seulement 20 % de la production, car chez Saint James on préfère de loin le tricotage en forme intégrale. En revanche, la pratique du matelassage et de la coupe à la scie est utilisée pour le coton qui peut être façonné en coupé-cousu. Il n’est pas tissé chez Saint James qui fait appel à des entreprises françaises spécialistes de la maille circulaire qui sont situées à Roanne, Troyes ou Mazamet et qui livrent le tissu en rouleaux. Lorsqu’il s’agit du coton marinière avec ses fameuses rayures, les rouleaux sont déroulés en laizes et chacune est superposée aux précédentes pour former le matelas. À chaque couche, le tissu est repéré et fixé au moyen d’aiguilles pour que les rayures soient parfaitement alignées avant la coupe.

La confection

Avant de parler confection ou de montage des vêtements, il faut souligner que tout le stylisme est imaginé et développé en interne par une équipe d’une vingtaine de personnes guidées par une directrice de collection. Parfois des stylistes extérieurs viennent prêter main forte à l’équipe à l’instar de Marie Marot pour une collection cosignée. Parfois, ce sont de très grands noms de la mode qui mettent en lumière les rayures de la célèbre marinière, comme Karl Lagerfeld avec son blaser orné d’un logo Saint James apparu dans un magazine de mode allemand.
Mais Saint James côté style, ce sont également des collaborations et des partenariats avec d’autres marques comme Claudie Pierlot pour une collection capsule, Le Slip Français pour ses pulls, Le Bon Marché pour les pulls de Noël du personnel, Rondineau pour une collection de pantoufles rayées, l’artiste Marin Montagut et Obaba pour un drap de plage.
L’implication de l’entreprise au cours de ces dernières années au niveau régional est également très forte comme cette opération remarquée avec les Monuments Nationaux ou encore le fait d’être l’habilleur officiel Des Grandes Voiles du Havre ou du festival musical Papillons de Nuit. Le sport est également un vecteur de communication et d’implication pour la marque qui habille les joueurs et les membres du staff du Stade Malherbe de Caen, club de Ligue 1.

Pérennisation et RSE

Depuis 1992, Saint James s’est totalement transformée en matière de management humain. Terminées les mono tâches rébarbatives, place aux groupes de travail autonomes où chacun et chacune possède un ou deux métiers de base. L’idée est de s’auto former aux métiers des autres membres du groupe et de permettre ainsi des changements de poste pour favoriser la cohésion et éviter la monotonie. Ajoutez à cela des primes de qualité pour les groupes et les primes individuelles.
La notion de formation est prégnante chez Saint James car il n’existe pas d’école permettant d’apprendre certaines techniques comme le remaillage ou la couture en cuvette. Elle se fait donc sur le tas en 18 mois pour être enfin seul devant une machine, mais c’est une responsabilité extrême qui fait que plus de 30 % des candidats abandonnent au bout de 3 mois. Le ramaillage est la seule solution pour que la pose d’un col sur un pull lui confère toute la souplesse voulue. Idem pour la couture en cuvette qui permet l’assemblage quasi invisible de panneaux.
Après un contrôle qualité, viennent ensuite la pose des boutons et autres accessoires qui lui donneront son aspect final et un dernier repassage avant d’aller au pliage et ensachage. Chaque vêtement passe dans un détecteur de métaux au cas peu probable où un morceau d’aiguille cassée resterait invisible à l’œil.
Le mot de la fin revient à Luc Lesénécal qui met en avant l’impossibilité actuelle de pouvoir s’approvisionner avec des laines françaises en quantité suffisante faute d’une production adaptée à une demande industrielle. “Nous favorisons les circuits courts avec une production essentiellement réalisée en France. Concernant les éventuels déchets de laine, ceux-ci sont utilisés et recyclés, notamment pour la confection de certains produits ou de matériaux d’isolation”.

Luc Lesénécal PDG de Saint James.

Si la Normandie est à votre programme touristique d’un prochain week-end ou de vos vacances, n’hésitez surtout pas à frapper à la porte de cette entreprise pour admirer ce mélange de très haute technicité des machines et du travail manuel artisanal qui met à l’honneur une entreprise employant plus de 78 % de femmes !

Les chiffres clés
300 collaborateurs
78 % de femmes
15 000 m2 et 1 boutique
53 millions d’euros de CA en 2016
40 % du CA à l’export (1/3 Asie, 1/3 Europe, 1/3 Amérique du Nord)
30 boutiques en nom propre : Paris, Rennes, Lyon, Dijon, Nantes, Strasbourg…
500 revendeurs multimarques
Fournisseur des Armées
Fournisseur Police Nationale depuis 2014
700 000 km de fil tricoté par mois (1 aller/retour terre/lune)

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