La French Filature : le chaînon manquant

@Jean-François Lange.

Bravo à la coopérative NatUp qui va ouvrir fin février La French Filature et ainsi relocaliser la filature du lin “au mouillé”, un savoir-faire disparu depuis plus de 20 ans. Une preuve que la relocalisation est possible, surtout lorsqu’entreprise et région s’accordent pour travailler ensemble.

La filière du lin française était, jusqu’à présent, l’un des parfaits exemples des conséquences de la désindustrialisation de la fin du siècle dernier. Imaginez, la France est le premier producteur de lin au monde et, pourtant, sur les 160 000 tonnes produites chaque année dans pratiquement une seule région – la Normandie – plus de 130 000 tonnes sont exportées pour être filées, tissées ou tricotées en Chine. Alors oui, l’annonce de l’ouverture imminente sur notre sol d’une filature de lin “au mouillé” est plus qu’une bonne nouvelle. D’abord, parce qu’elle indique qu’une filière complète est en train de renaître en partant du champ jusqu’au produit fini. Ensuite, parce que les tisseurs et tricoteurs français vont enfin pouvoir se fournir en fil de qualité auprès d’un fabricant local et renforcer ainsi leur positionnement sur le marché du made in France. Elle sous-entend également que tout a été fait du côté des pouvoirs publics pour que cette relocalisation soit possible.

La French Filature est installée dans l’Eure à Saint-Martin du Tilleul au sein du site de NatUp Fibres. Elle va ainsi compléter les savoir-faire déjà sur place comme le peignage et la mise en ruban. Les fibres de lin sont très longues et sont donc peignées, calibrées puis étirées en un superbe ruban qui sera à nouveau étiré et régularisé pour devenir une mèche. Cette dernière est encore étirée, régularisée et surtout filée en torsion soit dans des bains d’eau chaude pour les fils les plus fins, soit à sec pour les fils plus rustiques. La technique “au mouillé” avait totalement disparu de France depuis de nombreuses années, faute au départ des machines vers des pays lointains ou européens, là où la main-d’œuvre est moins chère. Le fil de lin “au mouillé” possède des qualités extraordinaires particulièrement adaptées à l’habillement et au linge de maison. Il peut être tissé et tricoté. On peut ainsi obtenir en tissage chaine et trame des tissus velours, gaze, satin, chevron ou sergé. Une large palette qui permet de suivre toutes les audaces de la mode et de la décoration. Idem en tricotage où le lin peut également se combiner à d’autres fibres. Bref, la filature du lin “au mouillé” était une étape indispensable pour que la filière française soit complète.

Le projet initié par NatUp Fibres réclame de gros investissements pour réaménager un site industriel, acquérir de nouvelles machines de dernière génération et assurer la formation des 29 salariés déjà sur place. Pas moins de 4,4 millions d’euros sont nécessaires au lancement de ce projet. L’État et la Région Normandie, présidée par Hervé Morin, ont participé chacun à hauteur de 1 million dont 500 000 euros en avance remboursable dans le cadre d’un Programme des Investissements d’Avenir (PIA Filières). Tout le monde est sur le pont pour le montage des machines récemment acquises, pour leur mise au point et la production de la première bobine de fil de lin “au mouillé”.
L’objectif est de produire 250 tonnes de fil par an, ce qui, pour donner une idée, représente l’équivalent de 1,25 million de chemises ou 300 000 parures de lit.

Tous les acteurs du made in France sont bien évidemment sur les rangs, qu’ils soient tisseurs ou tricoteurs, à commencer par l’éditeur de tissus Lemaitre Demeestere, “Nous attendons de pied ferme les premières bobines pour produire le premier tissu 100 % made in France”, nous indique Olivier Ducatillion, PDG de l’entreprise et membre de la coopérative NatUp.

“Avec l’ouverture de La French Filature, seul chaînon manquant de cette filière, la chaîne de valeur est désormais maitrisée de bout-en-bout, garantissant une traçabilité complète et une optimisation de l’impact environnemental du produit fini. Fabriquer un fil de lin au mouillé, en maîtrisant localement sa chaîne de production, de la culture de la graine jusqu’au produit fini, permet de nourrir l’écosystème et de satisfaire un nouveau segment du marché, celui de l’habillement et du linge de maison 100 % français”, conclut Karim Behlouli, directeur général de NatUp Fibres. L’arrivée de ce fil devrait permettre de proposer une chemise en lin made in France à un prix compétitif. De nombreuses marques sont intéressées comme Le Slip Français, Saint James, 1083, Dao, Splice et Petit Bateau. L’avenir nous dira comment les 250 tonnes seront réparties entre la vingtaine de tisseurs et tricoteurs français. Mais une chose est certaine, si la demande du marché est forte pour cette matière si agréable à porter, il faudra certainement encore investir. Et espérer que les entreprises françaises comme les marques sachent travailler ensemble et en bonne entente.

Nul doute que cet exemple de relocalisation industrielle va faire parler de lui et, surtout, inspirer d’autres filières. L’ouverture très prochaine de La French Filature est donc une nouvelle importante qui renforce l’offre en fil de lin français, mais dans une qualité supérieure du fait de la technique “au mouillé”. Notez qu’il existe déjà une relocalisation de filature de lin à sec beaucoup plus rustique par le groupe Velcorex dans les locaux de l’entreprise Emmanuel Lang dans le Haut-Rhin.

Avec la création de La French Filature, la coopérative NatUp fait montre de son dynamisme qui se traduit pour l’exercice précédent par un chiffre d’affaires de 1,138 milliard d’euros, dont 27 millions pour le Pôle Fibres. NatUp représente plus de 7 000 agriculteurs, 1 800 salariés, 1,8 million de tonnes de grains, 60 000 bovins et ovins. Rappelons que la branche NatUp Fibres agit également sur d’autres marchés comme l’automobile et le nautisme. 

www.natup.coop

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