Si la France n’est que le huitième producteur mondial de sel, sa production demeure, sur le littoral atlantique, une affaire de tradition et de savoir-faire deux fois millénaire.
Pour infinitésimale qu’elle soit, la production de sel issue des marais salants à des fins alimentaires est une belle histoire, à la fois moderne et ancestrale, comme c’est le cas autour de la coopérative de Guérande. Depuis des millénaires, la façon de faire est immuable, telle que la pratiquaient les moines établis dans la région. Tributaire du climat, elle offre un paysage mosaïque lié à l’océan Atlantique y puisant l’eau salée qui, en passant par les étiers, puis la vasière et le cobier, ira s’évaporer dans les œillets pour que le sel apparaisse. Ce site merveilleux ne voit que la main de l’homme (et quelques outils en bois). Mais ce sont surtout les quatre éléments qui interviennent pour que le sel apparaisse. L’eau bien sûr qui contient ce sel, la terre où sise cette activité, le soleil comme un feu qui fait évaporer l’eau et enfin le vent. A Guérande, 220 producteurs sur les 300 que compte le site se sont établis en coopérative depuis 1988 afin de défendre leur production et leur savoir-faire.
Sels pluriels
Pourtant, ce sel que l’on trouve sur les tables n’est qu’une infime partie de ce qui existe et qui a vécu des périodes difficiles. Que ce soit le sel gemme que l’on extrait des mines, le sel marin, ou le sel ignigène, obtenu à partir d’une saumure pompée, seulement 9 % sont destinés à la consommation alimentaire alors que 61 % le sont à l’industrie. Le sel gemme représente à lui seul 70 % de la quantité utilisée dans le monde.
Mais ce qui est rare a de la valeur, ainsi que l’est le sel de Guérande. Cependant, comme ce sel récolté à la main est plus cher, il a connu un déclin dans les années 70. Avec en plus une désaffection des consommateurs qui le trouvaient pas assez blanc, trop gris (alors que c’est bien la preuve qu’il est naturel et pur, non raffiné, ni nettoyé). A ce moment, des promoteurs immobiliers lorgnent du côté des marais afin d’y construire une marina. D’où la constitution d’abord d’un groupement, puis de la coopérative. Qui mène de nombreux combats, comme celui d’obtenir une Indication Géographique Protégée, permettant que disparaisse une hérésie telle que le Sel de Guérande de Corée, comme l’a un jour découvert lors d’un salon Ronan Loison, le directeur de Le Guérandais ! Par ailleurs, comme le sel n’est toujours pas considéré comme un produit agricole, il n’est pas éligible au label AB, mais bénéficie de celui de Nature & Progrès ainsi qu’un Label Rouge. En outre, la coopérative a également mis en place une formation, car la transmission du savoir-faire, qui se faisait oralement de génération en génération, commençait à disparaître. Les paludiers de partout peuvent venir s’y former pendant une année.
Au fil du temps
Si le climax de la saison est en été, le paludier travaille toute l’année, souvent aidé en période estivale de quelques saisonniers. Yann Gouret, qui nous a accordé un peu de son temps, travaille seul depuis neuf ans et se voit aidé, l’été par cinq personnes. Écrire qu’il travaille seul est un peu une hérésie, car les paludiers travaillent tous ensemble. Par exemple, en automne/hiver quand il faut parfois chez l’un refaçonner les fonds, refaire les niveaux des salines, ce sont tous les voisins, qui, en équipe de chaussage, viennent aider. Ensuite de février à avril, commence “l’habillage” c’est-à-dire que l’on vide l’eau de pluie, on nettoie les bassins de chauffe, les limus, on enlève la vase. Puis on nettoie les marais, les œillets précisément (un œillet c’est environ 70 m2 – les paludiers ont, en moyenne, 3 à 4 hectares soit une cinquantaine ou soixantaine d’œillets). La saison commence quand le temps y est propice et les journées sont longues. Par exemple, Yann récolte le gros sel de 5 h à 11 h, puis de 16 h à 22 h, pendant que les saisonniers cueillent en fin de journée, la fleur de sel. Il fait aussitôt entrer de l’eau salée afin, si les conditions le permettent, de récolter du sel le lendemain là même où il l’a pris la veille.
De Guérande à…
L’eau océanique est d’abord captée dans des canaux que l’on appelle étiers qui la conduisent dans la vasière (un premier bassin de stockage d’environ 30 cm de profondeur) puis dans le cobier (un peu moins profond) et ensuite dans des circuits de chauffe, les fares, qui font le tour des œillets pendant 24 ou 48 h. Enfin c’est dans les adernes, dernières réserves d’eau de décantation avant l’arrivée dans les œillets. On pourrait écrire qu’avec 60 œillets, un paludier récolte en moyenne 80 tonnes de gros sel et 3 tonnes de fleur de sel par an, mais la médiane est totalement différente, car l’écart peut aller de 0 tonnes à 200 annuellement !
Hormis la façade atlantique française, cette façon manuelle, sans filtrage, de récolter le gros sel et la fleur de sel ne se retrouve qu’un peu au Portugal, au Cambodge et en Thaïlande. Aussi il est important de savoir que ces quelques pincées de sel participent au rayonnement mondial d’un savoir-faire français, 20 % de la production partant à l’export dans plus de soixante pays (le reste de la production étant ainsi répartie : 50 % dans la distribution, 20 % pour des partenaires transformateurs – beurre, caramel, chips -, et 10 % dans les réseaux bios.) Ne reste plus qu’à jeter une pincée de sel pour se préserver du mauvais œil !
Par Charlotte Saric