En dehors de sa notoriété, le rhum réunionnais* est certainement la seule activité industrielle de grande envergure adossée à celle de la canne à sucre.
Il existe sur l’île 2 sucreries, 11 centres de réception de pesage et 3 grandes distilleries produisant essentiellement du rhum de sucrerie. La filière canne à sucre emploie plus de 3 200 planteurs cultivant plus de 23 mille hectares soit plus de 56 % de la SAU (Surface Agricole Utile). Autant dire que notre périple s’est fait au milieu des champs de canne qui sont omniprésents. Une tige immense qui ploie sous les vents dominants et verdie tous les contreforts des montagnes ainsi que les plaines. Plus de 18 000 emplois directs et indirects sont liés à la canne et au rhum sur l’ensemble de l’île. Indispensable à la survie économique de La Réunion, la canne sucrière sert également de support à une diversification active autour de la filière fruits et légumes ainsi qu’à l’élevage. Les deux sucreries de Bois Rouge à Saint-André et du Gol à Saint-Louis appartiennent depuis 2010 au groupe sucrier français Téréos, deuxième producteur européen de sucre.
Cette filière doit pourtant faire face à la libéralisation du marché du sucre dans l’Union Européenne depuis 2017. S’adapter est le maître mot car la fin des quotas va encore accentuer le handicap des sucreries des DOM vis-à-vis du sucre d’Europe issu de betteraves. Un vrai challenge à relever pour l’île car cette filière est fondamentale en matière d’économie circulaire, d’emplois, d’aménagement du territoire, d’environnement par son rôle antiérosif, par l’énergie renouvelable apportée par la bagasse (résidu fibreux de la canne après extraction du suc), sans oublier le stockage du carbone.
Derniers chiffres avant de passer à la dégustation du fameux rhum réunionnais : l’île produit 2 millions de tonnes de canne donnant 200 000 tonnes de sucre entre celui destiné au raffinage et les sucres spéciaux non raffinés. Sont également extraites 70 000 tonnes de mélasse (liquide noirâtre à très forte teneur en sucre et qui sent la réglisse. Le rajout d’eau et de levures va permettre sa distillation dans des alambics) et 570 000 tonnes de bagasse servant en partie à la production de 260 GWh soit environ 10 % de la production d’électricité. On récupère également 80 000 tonnes d’écume et des cendres qui constituent une importante source d’amendements et de fertilisants pour les sols de l’île.
Rhum agricole ou rhum de mélasse ?
Vous l’avez compris, tout part de la canne à sucre qui va être broyée dans des moulins pour extraire le jus de canne appelé vesou en créole. L’écorce ou la bagasse est récupérée pour la production électrique. L’ajout d’eau et de levures va permettre la distillation du vesou et d’obtenir un rhum agricole ou rhum pur jus de canne.
Pour le rhum de mélasse, le procédé est presque le même sauf que, au moment de la chauffe du vesou, on récupère la mélasse qui est le résidu de l’élaboration du sucre de canne. Une fois isolée, on lui ajoute de l’eau et des levures avant de passer ce mélange à l’alambic pour obtenir un spiritueux, qui s’appelle aussi rhum, mais avec une base et des arômes différents. Aujourd’hui, plus de 90 % des rhums consommés dans le monde sont des rhums de sucrerie ou rhums industriels. Le rhum de mélasse est souvent dédié aux cocktails contrairement au rhum agricole qui peut se consommer comme une eau-de-vie. La Réunion produit en moyenne chaque année environ 85 000 hl de rhum dont 45 000 de rhum de sucrerie, 37 000 hl de rhum léger, 370 hl de rhum agricole et 1 244 hl d’autres alcools.
Les distilleries
On compte plusieurs distilleries entre celles quasi industrielles et celles plus artisanales produisant leur propre rhum : distillerie de Savanna, distillerie Rivière du Mât, distillerie Isautier et La Part des Anges qui produit des eaux-de-vie de fruits tropicaux et du rhum agricole. Pour les trois premières, le schéma est différent. Elles produisent leurs propres marques, mais possèdent également d’autres marques de boissons alcoolisées ou non. Leur production permet d’en vendre une partie à d’autres sociétés comme Charrette qui est la marque réunionnaise de rhum la plus connue localement, mais aussi à l’exportation.
Quelle couleur ?
Il existe trois sortes de rhum : le blanc, le rhum ambré et le rhum vieux. Pour tous, le degré en alcool varie selon la méthode de distillation.
Le blanc est classé en deux catégories : le traditionnel industriel obtenu à partir de la mélasse et le rhum agricole obtenu à partir du pur jus de sucre de canne.
Le rhum ambré est un rhum blanc vieilli en fût ou en cuve métallique pendant plusieurs mois. Certains producteurs ajoutent du caramel pour accentuer la couleur ambrée.
Le rhum vieux est le haut de gamme toujours obtenu par vieillissement d’un rhum blanc principalement en fût de chêne neuf ou ayant servi à la production d’autres alcools comme le whisky ou le vin.
Qu’en faire ?
Soit le rhum possède une qualité gustative reconnue et peut être consommé pur comme un digestif, soit il sert de base à des cocktails mais, à La Réunion, on lui a trouvé depuis belle lurette une autre application avec les fameux rhums arrangés. Ils n’ont rien à voir avec les punchs car, normalement, ils ne contiennent que très peu de sucre ajouté. Ils se composent principalement d’écorces, d’épices, de feuilles et de fruits (secs ou frais) macérant dans un rhum blanc traditionnel ou agricole. Leur faible teneur en sucre leur permet de les consommer en digestif et il n’y a pas une maison réunionnaise qui ne possède pas son propre rhum arrangé “fait maison”.
Des bouteilles, des bonbonnes, des jarres et autres contenants en verre décorent les salons et il est quasiment impossible de rendre visite à un Réunionnais sans se voir offrir un rhum arrangé. Parmi les recettes les plus utilisées, il y a bien évidemment le rhum vanille, le rhum faham, le rhum gingembre, le rhum letchi et le rhum cannelle.
Visite chez Isautier, la Saga du Rhum
Fondée à Saint-Pierre depuis 1845 par Charles et Louis Isautier, elle fait partie des trois distilleries à produire ses propres gammes de rhums dont elle extrait également des punchs, de rhums arrangés et autres cocktails et spiritueux sous la marque Isautier. Elle demeure une entreprise familiale fière de son passé et de la préservation de ses savoir-faire ancestraux même si la production actuelle est parfaitement organisée et quasi industrielle. Un savoir-faire et une histoire du rhum que l’on peut découvrir en visitant son musée La Saga du Rhum. Un parcours à faire absolument pour tout savoir sur l’histoire de cet alcool intimement liée à celle de l’île et de la maison Isautier. La visite permet de découvrir toutes les étapes depuis 1845 jusqu’à nos jours. Une saga qui dure depuis six générations.
*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
