Kiabi lance son jean made in France à 35 euros

La promesse est belle et Kiabi montre toute la puissance d’un grand groupe pour confectionner à ce prix. Reste à savoir si les Français seront au-rendez-vous ?

On ne vend pas un jean à 35 € si on n’a pas financièrement les reins solides et la puissance d’un grand groupe comme l’Association Familiale Mulliez (AFM) à la tête d’Auchan, Leroy Merlin, Decathlon, Jules et Kiabi. C’est qu’il faut voir loin financièrement pour lancer la production de 15 000 jeans femmes et hommes. “Nous voulons monter en puissance sur le jean dans ce partenariat avec le Denim Center pour avoir des produits toujours plus beaux et qualitatifs au meilleur prix pour nos clients”, indique Fanny Desmazière, chef de marché denim chez Kiabi. Déjà que Kiabi se targue d’être le premier vendeur de jeans en France, on se doute qu’il va mettre le paquet pour atteindre les objectifs annoncés. Une belle promesse, d’autant que cette première collection est entièrement confectionnée dans les Hauts-de-France au Denim Center de Neuville-en-Ferrain. Rappelons toutefois qu’on n’est pas jamais mieux servi que par soi-même puisque ce fameux Denim Center appartient au puissant groupe industriel Mulliez et qu’il confectionne déjà des jeans à moins de 60 € pour la marque Jules.

Ce type d’opération n’est pas récente : on se souvient de Leclerc qui, dès 2014, lança la confection de jeans chez Dolmen via sa coopérative d’achat Scarmor sous la marque Breizh Mod. En 2016, ce fut au tour de Carrefour – et toujours chez Dolmen – de proposer une production à moins de 50 €. Dolmen qui fabrique encore aujourd’hui des jeans pour des marques plus confidentielles comme Breizh Angel.

Ces 15 000 pièces Kiabi produites en France sont en cours de commercialisation dans le réseau de magasins de l’enseigne et en ligne au prix unique de 35 €. Vous avez le choix entre deux délavages et une coupe slim pour l’homme et droite pour la femme. Pour marquer son engagement au made in France, un ruban tricolore est cousu au bas de la ceinture au-dessus de la poche avant gauche. Et pour inscrire son engagement en écoconception, la toile est composée de 31 % de coton recyclé, 67 % de coton vierge cultivé en Espagne et 2 % d’élasthanne. Côté communication, la marque a installé une signalétique particulière dans ses magasins et une vidéo tourne en boucle pour raconter cette première initiative Kiabi made in France.

Reste une question cruciale que nous avons posée à quelques badauds :
qui va acheter ?

La première piste naturelle est le client habituel Kiabi qui débourse aujourd’hui 10 € pour un jean made in ailleurs proposé dans le rayon d’à côté. Est-il, comme nous le rabâche un sondage à prendre avec des pincettes, capable de débourser le triple pour participer à la relance d’une filière ? À cette même question, les personnes que nous avons interrogées ont répondu systématiquement un non catégorique, en rajoutant : “Je ne vois pas ce que mon achat va changer”, et de proposer à chaque fois une autre solution originale digne d’une brève de comptoir pour participer au redressement de la France, du style “Vous n’avez qu’à baisser les salaires des députés ou taxer les joueurs de football…”. Bref, on n’avance pas de ce côté.
 Autre réaction très souvent reprise : Je ne vais pas chez Kiabi pour sauver la France, mais pour sauver mon porte-monnaie”. C’est plus direct et, au moins, c’est clair.
Bien évidemment, selon le profil interrogé (les fameux CSP+++), la réponse est tout aussi directe et parfois même un brin condescendante du style : “C’est bien de faire du made in France pour tous les budgets !”. Ou encore : “Mais ça existe déjà, on trouve des jeans made in France chez plein de marques”, sans être capable d’en citer au moins deux !

Alors, oui, au détour d’une conversation, on rencontre des personnes qui connaissent 1083, Tuffery, Dao, Le Gaulois…, mais toutes attendent de voir si la qualité proposée par Kiabi sera à la hauteur des marques précitées. Même un titre du très sérieux magazine Elle posait la question : “La marque à petits prix Kiabi a dévoilé ses jeans fabriqués en France à coût imbattable. Mais est-ce qu’on peut être stylé avec ces pièces ?”. Une interrogation d’une classe folle !

Alors pour ceux qui ont encore des doutes, sachez que, oui, votre achat à 35 € peut changer les choses et maintenir des emplois comme des savoir-faire. Oui, ce que vous pensez être une infime contribution ressemble pourtant à la petite goutte d’eau qu’apporte le colibri cher à Pierre Rabbi pour éteindre le feu dans la forêt. Oui, la confection de votre jean à 35 € va émettre moins de CO2 que celui qui vient du Bengladesh ou même du Maroc. Oui, c’est un coup d’essai, un test sur seulement 15 000 pièces alors qu’il se vend chaque année en France plus de 88 millions de jeans. Imaginez l’écart ! D’ailleurs, à ce niveau, on ne parle plus d’écart, mais de fosse abyssale ! Dans quelques jours s’ouvrira le salon du Made in France, une occasion pour vous d’aller au-devant de ces marques françaises qui se cassent la “nénette” pour vous proposer des produits de qualité, faits en France par des personnes salariées – et pas par des enfants -, dans une économie raisonnée souvent solidaire, en circuit court et au moins respectueux de l’environnement. Ces marques qui ont toutes leur identité, leur clientèle fidèle et qui participent déjà au maintien de la filière jeans, sans oublier celle du recyclage comme celle du lin et du chanvre. Aucune n’a la puissance de feu d’un groupe industriel qui seul peut espérer gagner des parts de marché sur les 88 millions de jeans vendus en France. Il n’y a que par le nombre de pièces produites que l’on peut faire baisser un prix de vente à ce point pour un jean made in France. On rentre de plain-pied dans un processus de réindustrialisation qui réclame des investissements considérables tant au niveau de la production que de la diffusion et de la communication.
Souhaitons que cette énième tentative trouve sa part de marché, qu’elle grandisse dans son originalité et qu’elle ne fasse pas d’ombre aux marques françaises déjà présentes.

www.kiabi.com

Partagez cet article :
×